dimanche 28 juillet 2013

vendredi 26 juillet 2013

NUIT ET JOUR


Titre original : "Night and Day"- 1919 -
Auteure : Virginia  WOOLF
Texte, traduit, annoté, commenté par : Françoise PELLAN
Editions :  Gallimard-  La Pléiade - 2012 - 442 pages

"Nuit et Jour", second roman de Virginia Woolf et également la plus longue de ses oeuvres romanesques, a été publié en octobre 1919, un peu plus de quatre ans après "Traversées".
Pourtant, aucune trace du conflit qui vient de secouer le monde dans ces pages, mais, au contraire, la sérénité et les conventions d'un monde protégé, aimablement tourné vers son glorieux passé, juste effleuré par quelques questions de son temps, comme le suffrage des femmes, toujours à venir, où l'éducation des travailleurs  à la démocratie, que des jeunes-gens, tout frais sortis d'Oxford ou de Cambridge, ont décidé mener à bien.

Nous sommes à Londres, aux alentours de 1910.
Katharine Hilbery, petite-fille d'un illustre poète, esprit bien organisé, poursuit chez ses parents une vie plutôt monotone, mais qui semble lui convenir, entre rédaction avec sa mère, charmante et fantasque, d'une biographie toujours repoussée de l'aïeul,  et service du thé, qui réunit régulièrement autour de la table, des esprits du meilleur monde. Personne ne sait qu'elle se passionne pour les mathématiques et l'astronmie, qu'elle  travaille le soir, retirée dans sa chambre.
Mary Datchet  a choisi une autre voie : l'action, bien décidée qu'elle est à devenir la "grande organisatrice" de l'association pour le vote des femmes, dont elle est la secrétaire, bénévole, il va s'en dire. Elle accueille également dans son appartement les réunions bi-mensuelles de divers comités qui s'intéressent à l'art ou à la réforme de l'Etat et c'est ainsi que se croisent, William Rodney, également familier des thés de Mrs Hilbery, qui vient ce soir là parler de "l'emploi de la métaphore dans la littérature élisabéthaine" et Ralph Denham, pilier depuis la mort de son père, d'une trop nombreuse famille, mais aussi juriste apprécié de Mr Hilbery, qui accueille avec joie ses articles, dans la revue de droit, qu'il anime.
La première rencontre tendue entre Katharine Hilbery et Ralph Denham, autour des reliques consciencieusement conservées de l'illustre grand-père, la passion enfin avouée de Rodney pour Katharine, l'amour évident  qu'elle croit peut-être trop vite réciproque de Mary Datchet pour Denham, la découverte par celui-ci du trouble pénible dans lequel le plonge le souvenir de Katharine, vont les projeter dans une quête "tour à tour déconcertante, mortifiante et exaltante " : "chercher à repérer un sentiment véritable, dans le chaos des pseudo-sentiments ou demi-sentiments que la vie nous inspire, le reconnaître quand on le trouve, et accepter les conséquences de cette découverte".
L'arrivée tardive de Cassandra, jeune cousine si spontanée, contrairement à eux, de Katharine  les aidera à mettre au clair leurs sentiments.

C'est donc un roman très classique que nous offre Virginia Woolf, dont la lecture fait souvent penser, humour compris, aux oeuvres de Jane Austen. Comédie de moeurs, critique d'un petit monde (par ailleurs charmant !) aux rites surannés et passablement ridicules  c'est aussi un texte à clés dans lequel on peut croiser et donc mieux comprendre,  Vanessa Bell, sa soeur aînée, Léonard Woolf et sa famille et le milieu de Bloomsbury.
 Un roman émouvant également, quand on sait que l'auteur, qui aspirait déjà à une forme moins convenue, a aussi probablement choisi cette construction rassurante, pour pouvoir lutter contre un nouvel accès de dépression. 

"Oeuvre d'un sujet en miettes dans un monde en chaos", qui le devinerait ? 

Les notes de Françoise Pellan, qui a également traduit l'ouvrage, sont là, entre autre, pour nous le rappeler. Elles ont été pour moi un complément nécessaire et passionnant à la lecture de ce livre. 

dimanche 21 juillet 2013

BEL ANNIVERSAIRE !



Il y a soixante-cinq ans, mes parents se mariaient.
Je suis heureuse qu'ils aient pu fêter ensemble ce bel anniversaire ! 

mercredi 17 juillet 2013

LE HARENG ET LE SAXOPHONE


Auteure : Sylvie WEIL
Editions : Buchet Chastel -2013- 485 pages

Il y a quelques années, j'avais lu avec beaucoup de plaisir le livre,  "Chez les Weil"* que Sylvie Weil avait consacré à sa famille paternelle.
On peut comprendre que passer sa vie entre deux génies, l'un longtemps vivant,  le mathématicien André Weil son père, co-fondateur du groupe Bourbaki et le souvenir omniprésent de sa tante,  l'illustre, mais "très encombrante" philosophe Simone Weil, ait de quoi marquer une existence ! 
J'avais alors beaucoup apprécié la manière dont Sylvie Weil  avait su leur rendre hommage tout en les égratignant avec impertinence, et peut-être  encore plus admiré la façon dont, visiblement, elle avait su faire sa vie, armée qu'elle était, entre autres qualités, d'un inaltérable sens de l'humour.

C'est bien ce sens de l'humour justement qui la fait "mourir de rire", devant la réaction hystérique de sa toute nouvelle belle-mère Molly Weitzner née Shakman, qui balaye "son admirable pedigree", d'un :
 "Tu ne crois pas que tu pouvais prétendre à quelque chose de plus reluisant",
adressé à son fils Eric, psychiatre de son état, que Sylvie justement, vient d'épouser "à la sauvette",  quelques semaines après l'avoir rencontré , à New-York, en 1980.

C'est pour "savoir de quoi est fait Eric" justement, enfant de Brooklyn qui ignore tout de ses ancêtres au-delà de ses grands-parents, que Sylvie Weil s'est intéressée à cette toute nouvelle famille et plus particulièrement à celle de l'odieuse Molly ("Chez mon fils c'est chez moi...ça m'intéresse de voir comment c'est rangé !") puisque l'histoire de son si doux et si lent beau-père Sam Weitzner se limite à un amour contrarié pour le saxophone, un père tailleur dans le Colorado, et de lointaines racines austro-hongroises. Le saxophone donc c'est pour lui.

Et le hareng, donc, c'est pour Molly.
En interrogeant les uns -en général tous d'avis différents-, en examinant des clichés pâlis, en fouillant dans de vieux papiers, en s'intéressant à la petite troupe de vieux voisins revenus des camps  qui s'installe chaque été au pied de l'immeuble du Bronx  où elle vit avec son tout nouveau mari, c'est  en fait un monde que Sylvie Weil  reconstruit peu à peu : des lieux, des noms, des métiers, des traditions : Ouman et Nikolaïev en Ukraine, une ferme dans l'Ontario, des boutiques à New-York, Dovid le petit champion d'échecs et ses descendants  Shmiel-Haïm et Esther, qui lassés des progroms sont allés rejoindre les sept de leurs huit enfants vivants qui se sont installés en Amérique. Molly justement est la dernière fille de Guédalia  appelé aussi George, épicier et vendeur des fameux harengs, comme l'était déjà son père.

C'est par très courts chapitres que nous découvrons cette histoire, comme Sylvie Weil l'a probablement découverte elle-même, au gré de ses rencontres, sans souci de chronologie.
Si parfois on s'y perd un peu malgré l'arbre généalogique fourni en annexe, on vit vraiment au coeur de cette famille courageuse et difficile, que ce soit aujourd'hui ou hier,  admirant le courage des anciens qui ont tout quitté et accepté "après s'être transporté" de "se transformer" autant que nécessaire ou comprenant mieux également les générations plus récentes écrasées ou confortées par le respect de la tradition et de la volonté de leurs pères, qui leur ont cependant permis de trouver la paix "ici".

J'ai beaucoup aimé ce livre plein de vitalité, d'humour et de tendresse, car Sylvie Weil comprend... même la terrible Molly, lui démontrant ainsi que l'intelligence et le ceur sont un bien bel héritage !
Mais arait-elle seulement compris ?

* Publié en anglais sous le titre : "At home with André and Simone Weil"

mercredi 10 juillet 2013

REMONTER LA MARNE







Auteur : Jean-Paul KAUFFMANN
Editions : Fayard 2013 - 262 pages -

On marche beaucoup dans les livres en ce moment ! Pourtant, pas plus que l'auteur, ce n'est pas l'aspect sportif de cette activité qui m'a attirée mais plutôt l'occasion de découvrir une région, la Champagne, que je ne connais pas et dont est originaire une partie de mes ancêtres.

Un bel après-midi de début septembre, donc, Jean-Paul KAUFFMANN charge sur ses épaules un sac de trente kilos et entame, à l'est de Paris, sur le site d'un centre commercial abandonné - Chinagora - "un décor de pacotille où la Marne se jette piteusement dans la Seine", la remontée de cette rivière, au nom si chargé d'histoire.
S'il a choisi la Marne c'est à cause d'"un fort tropisme de l'Est" lié sans doute à ses origines alsaciennes, mais également à la découverte d'un livre, écrit par Jules BLAIN, "un inconnu mort entre les deux guerres" qui à remonté la Marne, dans les années 20, à la recherche des traces de la Grande Guerre, qu'il a vécue.

En sept semaines, par avancées journalières de quinze kilomètres scandées par la rencontre de multiples naïades de pierre qui ornent les piles des ponts, j'ai cheminé à ses côtés : Paris, sa banlieue, le monde péri-urbain, puis enfin la campagne, le vignoble, la forêt, avant d'atteindre Balesmes où la rivière prend sa source "dans un val" au pied d'un monolithe qui ressemble à une idole.

En chemin, nous avons été accompagnés par de grands ancêtres : quelques huns, Louis XVI et sa famille en fuite vers Varennes, les soldats de 14 et ceux de 40.
Bossuet nous a accueilli à  Meaux, La Fontaine à Chateau-Thierry. A Vitry-le-François c'est Maigret, épuisé par sa course à vélo mais prêt à résoudre l'énigme du "Charretier de la Providence", que nous avons croisé, tandis qu' André Breton nous attendait dans les locaux de l'hôpital psychiatrique de Saint-Dizier.
Voilà, entre autres, pour le passé.

Il y a eu d'autres belles rencontres, avec des vivants, cette fois. Des amis installés sur ou non loin de la rivière, Félix l'ancien batelier pas très rassurant, un maître d'hôtel, un japonais adepte de la marche nordique, un chien errant. Surtout peut-être, tous les "indociles", tous les "défavorisés satisfaits", tous "les conjurateurs", confiants et sereins, qui ne s'illusionnent pas, se plaignent "sans s'appesantir", mais surtout savent rapidement "passer à autres choses".

De beaux paysages, nous en avons vus :
"les nuages, l'air tiède, les saules blancs, les églantiers bordant la rivière", chargés d'odeurs, et baignant  dans cette "rambleur", si difficile à définir, une "lueur blanche, passagère, qui vient perturber un ciel uniformément gris".

Aux étapes, nous avons mal mangé le plus souvent, mais avons bu du bon champagne en toutes circonstances.

Une belle randonnée alors ? Certainement.
Mais une randonnée curieuse aussi, qui m'a laissé comme un malaise. Le sentiment de n'avoir presque jamais approché l'auteur, comme si celui-ci restait à l'abri derrière une vitre, ne livrant qu'une apparence.
De la pudeur certainement, mais aussi peut-être le choix d'une certaine indifférence, jugée nécessaire.
Comme le rappelle l'auteur, Marcel Duchamp à qui l'on demandait :
"Pourquoi êtes-vous pour l'indifférence?" avait répondu : "Parce-que je hais la haine."
Une belle réponse et peut-être aussi une explication étonnamment sensible, convenant bien à un tel homme et à une telle région.



For Sallie and Suko :
The Marne is a river in France, a right tributary of the Seine in the area east and southeast of Paris. It is 514 kilometres (319 mi) long. More here 
Source : Wikipedia

mercredi 3 juillet 2013

TERRE DES AFFRANCHIS

Auteure : Liliana LAZAR
Editions : Gaïa- Babel n°1043- 2009 - 237 pages.


C'est la couverture de ce livre qui m'a d'abord attirée, illustrée qu'elle était par un beau et mystérieux tableau de Miriam ESCOFFET (sur laquelle vous pourrez découvrir plus en visitant son site).
Un commentaire élogieux de J.M.G. LE CLEZIO et l'avis enthousiaste des compétentes et accueillantes libraires d' "Au coin des mots passants" à Gap ont fait le reste, je me suis mise à la lecture, de cet étrange et beau roman, écrit directement en français, par une bien talentueuse auteure roumaine.

Il était une fois... en Moldavie, un petit village perdu dans les forêt, nommé Slobozia. Des familles de bûcherons y vivent depuis des siècles, dans leurs maisons bâties le long de la rivière, ou, pour les plus isolées, dans les collines qui entourent la petite agglomération. Un monastère byzantin, bâti non loin de là, en constitue le joyau. Chacun presque immuablement y poursuit sa pauvre existence, ignoré de tous ou presque, s'adaptant autant qu'il est possible aux vicissitudes successives de l'Histoire. Une seule vérité certaine et immuable : on ne s'approche pas de la Fosse aux Lions, un lac de sinistre mémoire, hanté par les moroï, des revenants, probablement les âmes errantes des soldats turcs qui s'y noyèrent au XVI ème  siècle.

Car non, nous ne sommes pas au Moyen-Âge, mais bien dans la Roumanie de Ceaucescu ( et même un peu après vers la fin) et tous les personnages que nous allons croiser, sont nos contemporains : Ana Luca la courageuse et ses enfants, Victor le boeuf et Eugenia la fluette, le saint pope Ilie et son prosaïque successeur Ion Fatu, Simion Pop le policier perspicace et Ismaïl le tzigane et bien entendu sorcier, sans parler de Daniel l'ermite en quête de rédemption,  et toutes les blanches victimes de l'assassin, qui, depuis deux décennies, hante la contrée.

Il y a ceux qui résistent et ceux qui s'adaptent - pas simple de s'en sortir dans un pays où deux pouvoirs, l'Etat et l'Eglise - cherchent à régenter la vie, ceux qui paient le prix de leurs actes et ceux qui en réchappent, chacun avance, branlant, tiraillé, comme il peut... S'affranchir ? Qui décide ?

Cela faisait très longtemps que je n'avais pas été aussi surprise et ravie par un livre : rien de convenu ici mais des questions : où suis-je ? Dans un conte, une fable, un essai d'ethnologie ? Et pourquoi Ceaucescu et ses sbires déboulent-ils alors que je me croyais dans des temps plus anciens ? Et ces moroï ? Et cette odeur de mandragore ? 
Il y a un grand plaisir à se laisser ainsi entraîner  d'un monde à l'autre, à se laisser porter par les incertitudes du récit. Fantastique ? Réalité ? Quelle importance ? La magie est là qui nous fait aimer  toutes ces pauvres âmes.
Un livre qui agit comme un charme,  cela ne peut se refuser.